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29 janvier 2009

151] Duel à la Tribune : Stauffer- Longchamp

Frontaliers: duel à la «Tribune»

Genève | Le peuple suisse décidera le 8 février s’il veut étendre les accords de libre circulation à la Bulgarie et à la Roumanie

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© pascal frautschi | Eric Stauffer (à gauche) et François Longchamp

PIERRE RUETSCHI ET DAVID HAEBERLI | 29.01.2009

Le peuple suisse décidera le 8 février s’il veut étendre les accords de libre circulation à la Bulgarie et à la Roumanie. A Genève, le débat s’est porté notamment sur la question des frontaliers. La Tribune a mis face-à-face François Longchamp, conseiller d’Etat en charge de la Solidarité et de l’Emploi et tenant du oui, et Eric Stauffer, président du MCG et défenseur du non.

François Longchamp, en période de récession, est-ce raisonnable d’ouvrir encore plus l’économie genevoise?

Précisément, c’est cette ouverture qui a dopé la conjoncture jusqu’ici. Depuis l’entrée en vigueur des accords bilatéraux, la baisse du chômage a été plus marquée à Genève qu’ailleurs. Nous avons connu une augmentation spectaculaire de nombre d’emplois: près de 10 000 en un an. Ils concernent des secteurs pouvant recruter sur le marché local, pour autant que l’on se donne les moyens de requalifier les personnes au chômage. Mais d’autres profils nécessitent une ouverture sur l’étranger. Ces emplois à forte valeur ajoutée nous sont indispensables. Notre rôle en temps de faible conjoncture est de prouver que nous pouvons répondre aux angoisses liées à l’emploi.

Eric Stauffer, êtes-vous d’accord avec cette approche qui ne fait pas le lien entre chômage et travailleurs européens?

Non, c’est un argument de mauvaise foi. Depuis l’ouverture des bilatérales, le 1er janvier 2002, le législateur fédéral a défini des quotas. C’est la preuve que tout changement trop rapide est négatif. En revanche, nos élus genevois à Berne ont zappé sur le deuxième accord – la libre circulation – et on a éliminé toute forme de contingent.

On a donc limité les gens qui voulaient s’établir en Suisse et on a rendu illimité le nombre de ceux qui s’arrêtent à la frontière pour travailler sur le territoire genevois.

Ce système aurait donc déjà dû nous mener à la catastrophe…

Nous avons besoin de la main-d’œuvre étrangère. Ce que nous combattons, c’est l’exagération. Elle entraîne un «dumping des compétences». Aujourd’hui, une annonce pour une réceptionniste-téléphoniste génère 900 réponses contre 50 auparavant. Voici un cas réel: d’un côté, une Espagnole née en Suisse, bilingue, qui a un CFC d’employée de bureau. De l’autre, une jeune femme du même âge, qui vient de Lille, qui a bac +5, licenciée en Lettres, mais qui n’a pas trouvé de débouché en France: elle travaille comme caissière dans un Pizza Hut, à 900 euros par mois. Salaire du poste de réceptionniste: 3800 francs bruts par mois. L’employeur va évidemment engager la seconde candidate surdiplômée.

François Longchamp, les Genevois étaient donc sous-qualifiés au moment de l’ouverture?Tout dépend du type de profil. Les 10 000 emplois, nous les avons créés dans des secteurs qui demandent des compétences particulières, comme la finance, l’horlogerie. Cela nous amène à devoir orienter des gens vers ces formations. Si elles ne trouvent pas ici les collaborateurs dont elles ont besoin, les entreprises suisses vont délocaliser leur production.

Eric Stauffer, vous niez la nécessité pour l’économie de recruter à l’extérieur?

Pas du tout. La transition était simplement trop rapide. Il fallait laisser à la population genevoise le temps de s’adapter à cette nouvelle concurrence. L’horlogerie suisse n’est pas née avec les accords bilatéraux. Mais chez Rolex travaillent aujourd’hui plus de 60% de frontaliers.

Peut-on encore parler de «Swiss made» ou s’agit-il de montres assemblées en Suisse par des étrangers? Je le dis sous forme de boutade.

Donc vous seriez d’accord pour l’extension mais plus tard, c’est ça?

Non. Cette votation représente une fabuleuse opportunité de remettre en cause l’intégralité des accords. Nous voulons en renégocier de nouveaux en tenant compte des spécificités genevoises.

Monsieur Longchamp, répondre aux besoins genevois avec une main-d’œuvre locale, est-ce réaliste?

C’est totalement irréaliste avec un certain nombre de professions. Egalement parce que les besoins de l’économie changent rapidement. Ce qui importe, c’est que les entreprises suisses puissent avoir accès aux marchés étrangers pour se développer. Ce n’est pas à l’Etat d’expliquer à Rolex comment construire des montres. Bien sûr qu’une certaine planification doit être faite. Il y a des métiers que les Suisses et les résidents ne veulent pas exercer. Ainsi, il y a dix ans, la restauration fonctionnait grâce au travail au noir. Aujourd’hui, on a plus de professionnels déclarés et qualifiés. C’est une réelle amélioration pour le tourisme suisse.

Eric Stauffer. S’il y a eu autant de travail au noir, c’est la faute du Conseil d’Etat! C’est aux patrons, donc à l’Etat, d’attribuer des permis temporaires aux entrepreneurs qui en ont besoin.

Vous prônez un retour au statut de saisonnier?

Bien sûr! Il faut avoir l’intelligence d’utiliser la main-d’œuvre quand on en a besoin. Le reste du temps, ces gens retournent chez eux.

François Longchamp. Avec cela, vous n’avez pas répondu à une question essentielle: il y a 300 000 emplois à Genève pour 235 000 personnes en âge de travailler, demandeurs d’emploi compris. On peut décider qu’on arrête de se développer en considérant qu’il y a 60 000 emplois de trop. Ce n’est pas l’ambition qu’un conseiller d’Etat peut avoir pour son canton. L’autre option est de continuer à se développer.

Où trouver ces 60 000 emplois, Eric Stauffer?

On ne peut pas sectoriser le problème. Genève se développe, mais les logements ne suivent pas. Par conséquent, plus nous augmentons le nombre d’emplois, plus nous générons des frontaliers, avec les incidences négatives que cela comporte. A défaut, les frontaliers sont devenus une nécessité économique pour Genève. C’est le surnombre que nous combattons!

Monsieur Longchamp, niez-vous que l’ouverture a provoqué une pression sur les salaires?Oui, je le nie pour deux raisons. D’abord, on n’en voit pas la trace dans les statistiques fiscales. De plus, les bilatérales ont amené une série de mesures d’accompagnement qui ont permis notamment de contrôler le dumping salarial. Ce sont les bilatérales qui ont permis l’extension des conventions collectives. En 1998, seuls trois secteurs faisaient l’objet de conventions collectives de travail (CCT) étendues. Aujourd’hui, il y en a 25. En y ajoutant les CCT non étendues, il y en avait 117 en 1998 contre 132 aujourd’hui, soit 44% des salariés.

Les syndicats sont majoritairement favorables à l’extension, Monsieur Stauffer…

Les conventions collectives ont des effets pervers. Les entreprises embauchent systématiquement au salaire minimum prévu par la convention. Mais il est vrai que le dumping salarial n’est pas le problème central. Prenons l’exemple de cette Genevoise de 42 ans, avec un CFC d’employée de bureau et un diplôme d’aide comptable. Elle doit recoller au marché du travail après avoir élevé ses enfants et un divorce.

Elle est employée par l’Etat à 1800 francs par mois pour un travail à 100%. Elle effectue le même job que sa voisine qui, elle, gagne 4700 francs par mois. Mais cette dernière a l’avantage d’être frontalière! Les Genevois qui restent sur le carreau sont un dommage acceptable dans votre vision de l’économie globale, Monsieur Longchamp.

François Longchamp. J’ai consacré ces trois dernières années à rendre notre politique sociale et de l’emploi plus efficace et plus juste. Alors je veux bien que vous expliquiez à Rolex comment fabriquer des montres et aux syndicats comment ils doivent défendre leurs salariés. Mais à force de considérer que tous les patrons et tous les syndicats sont des abrutis, on ne fait pas avancer le débat. Ce qui m’importe, c’est de faire en sorte que notre canton soit mieux armé pour affronter les périodes de crise. Et il le sera mieux si la Suisse accepte les accords bilatéraux.

L’extension à la Roumanie et à la Bulgarie peut-elle augmenter les abus sociaux à Genève?

Non. D’abord, l’accord ne permet pas de venir en Suisse prélever l’aide sociale, mais de venir y travailler. En 2008, nous avons délivré 54 permis B à des Polonais, 11 à des Tchèques et 13 à des Slovaques, sur un total de 300 000 emplois que compte le canton. En 2005, on nous avait promis une invasion! Non seulement elle n’a pas eu lieu, mais on a vu ces pays profiter de leur incorporation dans l’Europe.

Le nombre de «profiteurs» potentiels est dérisoire, Monsieur Stauffer, non?

Le problème ne vient pas des gens qui veulent partager la vie des Genevois grâce aux permis B. C’est cet afflux massif d’eurofrontaliers qui a inversé la problématique de l’emploi.

Prendre le risque de liquider les accords pour cette seule raison, n’est-ce pas démesuré?

Si vous pensez que les partenaires commerciaux vont arrêter de commander en Suisse sous prétexte que l’on a refusé l’extension des accords bilatéraux, vous êtes naïf. La Suisse est un partenaire très important pour l’Union. L’inverse est également vrai. Donc cet équilibre va
perdurer.

Que répondez-vous, François Longchamp?

Le risque est plus subtil. La clause guillotine concerne un certain nombre d’autres textes déterminants pour l’avenir de Genève. Je le dis en tant que président de l’aéroport: l’accord sur le transport aérien profite beaucoup plus à la Suisse qu’à l’Union. Ces accords, l’Europe a peut-être intérêt à les renégocier. Et elle en profitera pour augmenter la pression sur deux dossiers majeurs: l’accord sur la fiscalité et celui sur le secret bancaire. Et elle ne fera aucun cadeau.

Eric Stauffer, la naïveté, c’est de croire que l’Europe  ne bougera pas, non?

Je ne dis pas qu’elle ne bougera pas. Refus du peuple suisse ou pas, nous sommes entrés dans un cycle où le secret bancaire va être annihilé et la fiscalité suisse va rejoindre celle de l’Europe.

Quelle sera l’influence d’un non sur les accords techniques?Nous avons fait les accords bilatéraux à sens unique. Un coup de téléphone, quatre minutes et une entreprise française obtient l’autorisation de travailler en Suisse. Une entreprise genevoise, après six heures au téléphone et être passée par Annecy, Paris, Dijon, finit à l’Hôtel des finances d’Annemasse, où on lui répond qu’il faut un représentant fiscal français pour travailler en France.

Monsieur Stauffer, quelle est cette Suisse dont vous rêvez, sans les accords bilatéraux?

Je suis pour une Europe confédérale. Une Europe des régions. Pour une région franco-valdo-genevoise, mais avec Genève comme leader. Nous ne voulons pas vider la substance de Genève au profit des autres. Les accords de libre circulation sont beaucoup trop rapides et sont donc à consonance négative pour nos emplois. Le reste des accords peut comporter du bon. Mais comme le Conseil fédéral n’a pas voulu séparer les objets, nous n’avons d’autre choix que de refuser en bloc l’extension de ces accords bilatéraux en espérant que, par jeu de dominos, tout sera remis en question et que nous pourrons renégocier des accords en tenant compte notamment des spécificités du canton de Genève.

Monsieur Longchamp, votre conclusion?

L’accord sur la libre circulation est essentiel pour plusieurs raisons. La première, c’est l’emploi. La capacité pour nos entreprises de créer des emplois, de bénéficier de facilités pour exporter. Autre élément: le risque que l’on prend, en particulier dans une période de récession.

Connaître une situation d’instabilité dans les accords que nous avons avec nos principaux partenaires commerciaux est un risque énorme pour notre pays qui dépend extrêmement de l’étranger. Pour nos entreprises, pour les gens qui y travaillent, pour les étudiants qui font de la recherche, pour le tourisme, l’aéronautique, il faut préserver nos accords bilatéraux.

source : www.tdg.ch du 29.01.2009 par Pierre Ruetschi et David Haeberli

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