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4 novembre 2008

80] JSE répond à André Comte-Sponville ...

Variations

Non, M. Comte-Sponville, le capitalisme n’est pas amoral

Jacques-Simon Eggly

Dans son édition du jeudi 30 octobre, ce journal a publié les propos très intéressants du philosophe André Comte-Sponville; propos recueillis par François Pilet. Le voici donc qui porte un regard à la fois lucide et biaisé par sa propre équation sur le capitalisme.

 

Il est lucide lorsqu’il évoque le comportement de ces financiers ivres de leur travail, que la passion anime et non pas la raison. Il est lucide lorsqu’il dit que c’est elle, entraînant cet emballement, qui a mené où nous sommes. Il est lucide lorsqu’il décèle dans ces dérapages des comportements une logique, donc des actions raisonneuses répondant à cette mauvaise logique tournée sur elle-même; mais qui échappe à la vraie Raison: elle qui sait prendre la mesure des choses dans une vision d’ensemble, tendue vers le souci des équilibres, de la transmission, de la durée.

 

Mais l’autre partie des propos de Comte-Sponville ne convainc pas du tout. Il affirme que la logique du capitalisme est amorale et qu’il n’y a pas à lui en vouloir car c’est un fait. Il serait amoral par essence et il est parfaitement normal que le ressort des capitalistes soit la cupidité. Par conséquent, seule une force contraignante extérieure, c’est-à-dire la loi, peut moraliser le capitalisme. Il est incontournable mais il faudrait le mettre, et donc mettre les capitalistes, sous étroite tutelle.

 

Eh bien, affirmons ici que le capitalisme est une conséquence nécessaire du libéralisme. Et si, comme l’a très bien écrit Jean Noël Cuénod dans la Tribune de Genève , il ne faut pas confondre les deux termes, il importe de mettre en relief le lien qui devrait être éthique allant de l’un à l’autre. Le libéralisme s’est développé dans une tradition protestante, élargie dans un registre laïque par le siècle des Lumières. La pierre angulaire en a été, dès l’origine, le binôme Liberté-Responsabilité. L’origine religieuse situait même cette responsabilité devant Dieu: ce qui n’est pas rien. Il en est découlé l’idée du travail, de la transmission du patrimoine, de la responsabilité économique et sociale au cœur même du capitalisme et donc des activités financières.

 

On ne devrait pas envisager le capitalisme, donc les capitalistes le pratiquant sous toutes ses formes, sans la référence au libéralisme dont la dimension originelle spirituelle, philosophique, profondément morale est indéniable.

 

Le danger d’une approche trop marquée à gauche, fût-elle de haut niveau, est de ne plus croire au renouveau, à la régénération des comportements; et donc de n’attendre que de la loi les garde-fous contre les dérives. Or, si trop de liberté laissée à ceux qui ne la maîtrisent pas pousse à la culbute, trop peu de liberté laissée aux acteurs économiques et financiers étouffe les possibilités d’expansion économique, de prospérité dont nous avons aussi constaté les réalisations; ne l’oublions pas.

 

Oui, il va falloir renforcer certains contrôles sur le monde financier, par des organes de surveillance appropriés; mais sans tomber dans l’excès bureaucratique. Oui, il serait bon que la loi mette les salaires et les surplus offerts aux dirigeants sous le contrôle des actionnaires, dans une transparence des décisions à cet égard.

 

Oui, il serait bon qu’une gouvernance inter­étatique suffisante se mette au diapason de la mondialisation économique et financière. Mais cela n’aura de sens et d’efficacité que si de telles précautions accompagnent un retour aux sources dans les comportements des acteurs eux-mêmes; à commencer par les dirigeants et les hauts cadres de la finance et de l’économie. Il faut renouer avec une culture de la responsabilité, inscrite dans le libéralisme: une culture que nombre de chefs d’entreprise et de banquiers (pensons à la banque genevoise traditionnelle) n’ont jamais perdue de vue.

 

Non, M. Comte-Sponville, ce n’est pas la loi seule qui pourra moraliser le capitalisme; ce seront avant tout les capitalistes retrouvant leur boussole culturelle qui restaureront son lien avec la morale.

 

Il faut renouer avec une culture de la responsabilité, inscrite dans le libéralisme

source : www.letemps.ch du 04.11.2008 Jacques-Simon Eggly

L'article du 30 octobre 2008 :

Philosophe matérialiste et humaniste, intellectuel de gauche, André Comte-Sponville défend l’amoralité de l’économie. Selon lui, la crise montre que ce n’est pas l’intérêt qui guide les marchés, mais la passion

«Seule la loi pourra moraliser le capitalisme»

Le Temps: Etes-vous toujours aussi certain, comme vous l’affirmez dans votre livre, que le capitalisme moderne n’est ni moral ni immoral, mais amoral?

 

André Comte-Sponville: Il n’y a de morale ou d’immoralité que par les individus. Le capitalisme n’étant pas un individu, la question paraît réglée de façon quasi métaphysique. Cette crise ne fait que de montrer que les individus sont prêts à toutes les folies par appât du gain. Le capitalisme ne fonctionne ni à la vertu ni au désintéressement; il fonctionne à l’égoïsme. Cela conforte la thèse que j’avance dans mon livre, selon laquelle le capitalisme a besoin de limites externes, de limites non marchandes, qui ne peuvent venir que de la politique et du droit.

 

Quand Nicolas Sarkozy dit qu’il veut «moraliser le capitalisme», je ne suis pas contre l’idée. Mais s’il dit par là qu’il veut rendre les banquiers davantage moraux, c’est une pure et simple illusion! Il est important de comprendre que quand on parle de «moraliser le capitalisme», ce n’est pas de la morale qu’il faut ajouter, mais de la loi. C’est du droit, et donc de la contrainte. On parle donc d’un retour à la morale, mais ce à quoi on assiste véritablement, c’est d’un retour à l’Etat. De ce point de vue, il n’est pas impossible que cette crise ait des effets positifs.

 

– Selon la règle, celui qui échoue fait faillite. Or il a été admis que plus aucune banque ne pourrait faire faillite, que cela ferait courir un trop grand danger à l’ensemble du système. Le capitalisme s’est-il renié?

 

– Il y a effectivement un certain nombre d’entreprises, dont font partie les banques, qui sont devenues trop importantes pour l’économie pour qu’on puisse accepter qu’elles fassent faillite. Cela confirme que l’attitude prise par les politiques n’est pas fondée sur la morale. Hank Paulson [ le secrétaire au Trésor auteur du plan de sauvetage américain] a dit qu’il détestait ces mesures, parce que justement il sauvait des banquiers pour lesquels il n’avait pas spécialement d’estime. Ce n’est donc pas la morale qui vient guider la politique économique. On préférerait que ces banquiers soient ruinés – on s’en fiche d’ailleurs s’ils le sont individuellement – mais on ne peut pas l’accepter collectivement. Parce que les répercutions économiques seraient si graves qu’elles mettraient le système en danger. La morale ne guide pas l’économie, elle ne la régule pas non plus, et ce n’est même pas elle qui gouverne la politique économique. Le problème n’est pas de donner des bons ou des mauvais points, en disant que ceux qui ont péché doivent être punis. Le problème et de savoir comment sauver l’économie.

 

– Pourtant la cupidité est immorale, et même source d’inefficacité sur le marché.

 

– C’est vrai, mais ce sont les individus qui sont cupides, pas le capitalisme. En outre, il est un peu facile de condamner la cupidité des autres. On s’étonne que les banquiers n’aient pas limité d’eux-mêmes leurs propres salaires. J’aimerais qu’on me présente un salarié qui un jour a refusé une augmentation.

 

– On ne leur aurait pas reproché leurs salaires si leur cupidité ne les avait pas menés à l’échec!

 

– Pour le coup, Nicolas Sarkozy avait raison quand il dénonçait les parachutes dorés. Il les décrivait comme un gain sans risque. Or l’esprit du capitalisme est justement que les gains doivent être proportionnels aux risques.
Il y a quelque chose qui n’est fidèle ni à la morale ni au capitalisme dans cette notion d’absence de risques et de gains assurés. Comment l’empêcher? Sûrement pas en comptant sur la conscience morale des patrons. La seule solution vient de la politique et du droit qui fixeront des limites externes à l’enrichissement des uns et des autres. Les ultralibéraux se trompaient quand ils disaient que les règles internes du marché suffiraient pour éviter le pire. Alan Greenspan l’a reconnu, de façon assez émouvante, en admettant lui-même s’être trompé. Il pensait que les banquiers avaient suffisamment conscience de leur propre intérêt pour ne pas faire ces bêtises-là.

 

Cela prouve simplement que ce n’est pas le seul intérêt qui motive les gens. Si c’était le cas, on pourrait avoir confiance! L’intérêt pousse à l’intelligence. Le drame est que les gens ne sont pas mus par l’intérêt mais par la passion. Or la passion est aveugle et déraisonnable. Greenspan a eu tort parce que ce qui a guidé les banquiers n’était pas l’intérêt intelligent, c’était une passion aveugle et déraisonnable: la cupidité. Ce qui est autre chose que l’intérêt, puisque par cupidité, certains se sont ruinés. Cela signifie que la logique profonde du marché est complètement rationnelle, et en même temps complètement déraisonnable. Il est important de faire la différence entre ce qui est rationnel – ce que la raison peut comprendre – et ce qui est raisonnable, c’est-à-dire ce que la raison peut approuver. Par exemple, la folie est rationnelle. Si elle ne l’était pas, la psychiatrie serait impossible. La psychiatrie permet de comprendre les causes rationnelles d’une attitude déraisonnable. Pareil pour le marché; c’est ce que les physiciens appelleraient un système chaotique, totalement déterminé, totalement rationnel, et pourtant totalement imprévisible.

 

De même qu’avec la météo, le temps qu’il fait n’est jamais irrationnel. Il a ses causes, il a sa rationalité, mais il est parfaitement imprévisible huit jours à l’avance. Tout comme la bourse. Si les acteurs du marché ne sont pas rationnels mais se contentent de suivre leurs passions folles, il devient donc indispensable de fixer des limites. C’est ce qu’on appelle le droit: des limites imposées à la liberté des individus.

 

– S’il faut des limites, c’est qu’il existe une forme d’immoralité à corriger.

 

– Encore une fois, la cupidité vient des individus. Or le paradoxe est que nous sommes moins aveuglément égoïstes en tant que citoyen que nous le sommes en tant qu’individu. Permettez-moi un exemple automobile. Je suis père de famille, et je ne m’intéresse ni aux voitures ni à la vitesse. Mais comme tout le monde, j’ai eu tendance à rouler trop vite. J’ai lu Spinoza, Kant et aimé Marx, mais la vérité est celle-là: les plus grands philosophes au monde n’ont pas réussi à me faire lever le pied. Trois petits radars, trois petits PV, trois petits points en moins sur mon permis ont été plus efficaces que la lecture des plus grands auteurs. Terrible leçon d’humilité!

 

Pourtant, le citoyen que je suis a voté – indirectement – pour ces lois strictes sur la circulation routière. Il s’est dit qu’elles allaient le protéger contre les chauffards. Autrement dit, le citoyen que je suis est plus raisonnable en matière de circulation routière que le conducteur. Ce n’est qu’une analogie, mais je crois que c’est vrai aussi en économie. Les citoyens que nous sommes sont plus raisonnables en matière de politique économique que les consommateurs, les investisseurs ou les actionnaires, selon les cas, que nous sommes aussi.
Il nous faut donc jouer sur cette intelligence collective que seule la politique nous permet.

 

– Dans votre livre, vous décrivez une forme très traditionnelle du capitalisme. S’y affrontent les actionnaires, l’Etat, les salariés. Les choses n’ont-elles pas changé à l’heure de la finance? Par exemple, les managers qui parviennent à se faire verser des bonus considérables ne sont-ils pas une nouvelle classe de super-salariés?

 

– Le capitalisme est au service des actionnaires et je ne crois pas que cette crise y change quoi que ce soit. En vérité, c’est parce qu’ils attendaient un gain en retour qu’ils ont signé des contrats parfois léonins à des managers. Ils attendaient une montée en bourse de leurs actions, qui d’ailleurs s’est produite pendant plusieurs années. Ce que vous suggérez est d’ailleurs le contraire de ce qui se disait au début des années 2000. A l’époque des gens comme Alain Minc – et cela faisait l’objet d’une espèce de consensus – disaient qu’on avait assisté à un capitalisme managérial dans les années 60 et 70 qui s’est transformé en un capitalisme patrimonial dans les années 90 et 2000. Autrement dit, la grande nouvelle des années 2000, c’était précisément que les actionnaires reprenaient le pouvoir.

 

Aujourd’hui, je pense que le ­capitalisme est encore un peu plus au service des actionnaires et un peu moins au service des managers. Si ceux-ci ont pris trop de pouvoir, c’est parce que les actionnaires ont cru que c’était dans leur intérêt.

 

– Une autre différence: le capitalisme classique, par définition, sert à produire de la richesse avec de la richesse. Or dans le cas présent, le jeu consistait à faire de la richesse avec de la dette. N’est-ce pas une différence fondamentale?

 

– On touche là du doigt la singularité de cette crise. S’enrichir avec de l’argent qu’on possède, c’est le capital, la «richesse créatrice de richesse». S’enrichir avec de l’argent qu’on ne possède pas, c’est peut-être la vraie nouveauté de ce capitalisme-là. Nous le constatons aujourd’hui: le capitalisme financier, quand il devient un capitalisme de la dette, devient mortifère. Je peux imaginer qu’un certain nombre des mesures qui vont être prises dans les années qui viennent interdira de pousser ce jeu trop loin. Tout en rappelant que la dette n’est ni immorale ni absurde. C’est une question de mesure. Ce qui m’amuse justement, c’est que l’idée de prêter aux pauvres n’était pas une si mauvaise idée! Mon ami Luc Ferry avec qui je déjeunais l’autre jour me disait: sait-on combien de pauvres Américains ont pu acheter leur maison grâce aux «subprime»? On sait combien ont dû vendre leur maison, mais combien ont pu l’acheter et la garderont? Tant que nous n’aurons pas ces chiffres, l’appréciation globale restera discutable. Prêter aux pauvres et titriser ces dettes pour disperser le risque pouvait passer pour une bonne idée. Le risque s’est avéré catastrophique.

 

– Vous mentionniez Nicolas Sarkozy. Que pensez-vous de son action?

 

– Je n’ai pas voté pour lui, mais je n’ai ni haine ni mépris. Mes amis de gauche ont tendance à le traiter un peu facilement de débile ou de fasciste, alors que d’évidence, il n’est ni l’un ni l’autre. J’avais apprécié sa campagne mais j’ai été déçu par sa prise de pouvoir, à la fois par la vulgarité du personnage, mais aussi par sa politique économique. Il affichait par exemple fièrement son «volontarisme», selon ses propres termes, en disant qu’il irait «chercher la croissance avec les dents». Or à mon sens, le volontarisme est un défaut. C’est demander à la volonté des choses que la volonté ne peut pas obtenir. Ce n’est pas parce qu’on veut très fort la croissance qu’on l’aura! C’est n’avoir rien compris aux problèmes de l’économie. En réalité, ce discours est angélique. Cela revient à demander à la politique de régenter des phénomènes qui sont par définition en dehors de son contrôle. Certes, la politique est là pour limiter un certain nombre de phénomènes qui ont cours au sein de l’économie, mais pour les limiter de l’extérieur, pas pour les régenter de l’intérieur. La loi de l’offre et de la demande continuera toujours de ne pas obéir à l’Etat, justement parce que c’est une loi économique. On peut par exemple imposer des limites aux salaires, dont la fixation découle de l’offre et de la demande, en établissant un plancher minimum. Cela s’appelle le SMIC en France, qui est une limite non marchande au marché du travail. On pourrait tout aussi bien lui fixer une limite supérieure. Mais entre ces deux extrêmes, on ne va pas demander à l’Etat de fixer les salaires de toutes les corporations. Pareil pour la croissance!

 

L’Etat est à sa place quand il pose des limites sur l’utilisation des crédits, mais il ne pourra pas gouverner le marché de l’intérieur. Je soupçonne que Sarkozy, porté par la crise, exalté par tempérament, gratifié par le fait d’être président de l’Europe, retombe dans son vieux démon qui est précisément un volontarisme voué à l’échec. L’économie a parfois besoin de volonté, elle a surtout besoin d’intelligence. Il ne suffit pas de vouloir .

 

André Comte-Sponville  , dans son appartement parisien: «La logique profonde du marché est complètement rationnelle, et en même temps complètement déraisonnable.» Paris, 29 octobre 2008 

 

Philippe Grollier/OpALLE

 

 

 

 

 

 

 

«Le drame est que
les gens ne sont pas mus par l’intérêt mais par la passion. Or la passion est aveugle
et déraisonnable»

source :www.letemps.ch du 30.10.2008 propos recueillis par François Pilet


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