PERSPECTIVES
«Libéral» serait donc devenu un vilain mot ?
JEAN-NOËL CUÉNOD CORRESPONDANT À PARIS
Certes, cela n’a pas empêché les libéraux genevois de remporter un joli succès lors des dernières élections à la Constituante de la République et canton. Mais on sent bien que ce terme est désormais plombé par la crise financière qui a vu les Etats les moins interventionnistes recourir à la nationalisation de certaines de leurs banques. Le vocable «libéral» subit cette perte de sens qui affecte les mots que nous prononçons chaque jour comme autant de psalmodies dans nos moulins à prières laïques. Avant le tsunami financier d’octobre, le mot «libéral» était célébré à mauvais escient. De façon tout à fait usurpée, il a été lié, par la paresse intellectuelle des médias, à la politique de Thatcher et Reagan. Celleci consistait à se désintéresser du sort des catégories moyennes et pauvres de la société pour dorloter les plus riches. Avec cet argument: les milliardaires devenant multimilliardaires grâce aux caresses fiscales, ils dépenseront leurs sous à tel point que, par effet de cascade, le flot de leur fric coulera sur les échines des classes moyennes puis, en fin de course, sur celles des plus pauvres. On voit aujourd’hui le résultat. Les milliardaires sont bel et bien devenus multimilliardaires, mais sans actionner la cascade de fric. Le pouvoir d’achat des classes moyennes ne cesse de sombrer. Quant aux catégories les plus défavorisées, il serait indécent d’évoquer leur «pouvoir d’achat» qui se réduit souvent à un «pouvoir de mendier». Cette bouillie anglosaxonne nous a menés à l’indigestion actuelle. Les Etats disposent de ressources fiscales insuffisantes pour relever le défi de la pauvreté galopante. Et la politique de l’ Etatnéant a conduit à la dérégularisation générale des marchés et de la Bourse, ce qui a provoqué la crise financière actuelle. Par conséquent, c’est aujourd'hui le libéralisme que l’on incrimine. Et toujours à mauvais escient. La faute en revient non seulement aux médias mais également aux libéraux politiques. Ces derniers ont confondu deux notions, le capitalisme et le libéralisme. Or, il ne s’agit pas de la même chose. Le capitalisme est une force économique basée sur la recherche du profit. Il est une énergie qui, comme l’électricité, peut servir la vie tout aussi bien que la mort. Le capitalisme est, par essence, amoral. Le libéralisme, lui, est une pensée née des Lumières qui postule que l’humain doit être à la fois libre et responsable. Il n’est pas que libre. Il n’est pas que responsable. Il unifie ces deux caractéristiques dans sa démarche au sein de la société. Le libéralisme est, par essence, moral. Il est donc autonome par rapport au capitalisme. D’ailleurs, la Chine nous prouve qu’un Etat peut plonger dans le plus sauvage des capitalismes sans employer une once de libéralisme. La démarche libérale est née à gauche au XVIIIe siècle et a été annexée par la droite au fil du XXe. Or, le libéralisme n’est propriété ni de l’une ni de l’autre. Il doit être appréhendé comme un élément de base de la société. Celle-ci ne peut vivre dans toutes ses dimensions sans liberté et sans responsabilité. C’est ce que Thatcher et Reagan avaient oublié. Ils ont favorisé la liberté en mettant la responsabilité de côté.
|